« Une
correspondance picturale entre enfants du Sénégal, de France et du
Japon »
Ce projet, « Une correspondance picturale entre enfants
du Sénégal, de France et du Japon », a été conçu pour que des
enfants de trois continents puissent communiquer et partager leur
curiosité, leur créativité, et surtout leur amitié.
On voudrait y inviter les enfants à dessiner et puis à envoyer leurs
dessins à des enfants des deux autres pays. Les dessins qu’ils
recevraient à leur tour de ces deux pays seraient montrés lors
d’une exposition, et cette exposition donnerait lieu à une réponse
par dessins. On espère qu’il y aurait ainsi une suite d’échanges
qui permettrait d’approfondir les relations d’amitié.
Le village Thieppe, Sénégal :
Le village de Thieppe est traversé en son milieu par une route
nationale. Mais elle n’est pas revêtue et il y passe seulement
quelques véhicules par jour. Cependant, à chaque passage, la poussière
monte jusqu’à la hauteur du toit des maisons (qui n’ont
cependant qu’un rez-de-chaussée… ). Tout autour de la place
centrale du village se trouvent les maisons des anciens, notamment celle
du maire. Au centre, il y a un puits.
À 150 kilomètres de Dakar, ce qui fait deux heures de voiture,
il n’y a encore ni électricité, ni gaz, ni distribution
d’eau. Mais depuis quand la distribution d’eau existe-t-elle
en France ou au Japon ?
Chaque matin, les femmes du village puisent l’eau au
puits du village. Les hommes cultivent le millet : c’est la
tradition que les femmes s’occupent de puiser l’eau au puits.
Cette année, à cause des ravages causés par les sauterelles, il n’y
a pas eu beaucoup de travail à faire aux champs et il m’a semblé
que les hommes restaient là sans rien faire. Pourtant, il n’y avait
aucun homme autour du puits. Dans cette terre aride, il faut creuser au moins 60 ou 70 mètres
pour trouver de l’eau. Les femmes puisent de l’eau à trois
ensemble, en rythme, accordant entre elles leur respiration pour avoir la
force d’une équipe.
Mais cette eau, puisée tout au fond de la terre, est pure,
bien préservée de toute pollution. Et, bercée comme elle l’est, des
paroles et des chants des femmes, elle doit certainement receler de
bonnes « ondes »… La valeur de l’eau est ici
évidente pour tout le monde. La vie n’est pas facile pour les familles comportant des
personnes âgées ou peu de femmes. Mais il m’a semblé que les
villageois travaillaient en équipe. Étant femme, j’ai pu participer à cet événement matinal. Lorsque la respiration s’est accordée parfaitement, le
mouvement s’accélère. Ce mouvement, allègrement répété, de haut en
bas et de bas en haut, fait penser à un pur-sang qui courrait
verticalement sur la terre sauvage. La beauté de ce mouvement si naturel,
cette beauté si fonctionnelle en sa nécessité, m’a émue. Cette
expérience joyeuse m’a fait réfléchir de nouveau sur ce
qu’est l’art.
À l’intérieur des murs de chaque maison, chacune des
chambres séparées par des cloisons de boue est tournée dans trois
directions différentes autour d’une cour centrale. Sous le régime
de la polygamie, chacune des femmes réside avec ses enfants dans une
chambre. La famille du maire du village se compose de huit femmes et de
leurs enfants. C’est une grande famille de cinquante personnes. Ils
sont très gais et ont l’air de bien s’entendre. La cour sert de cuisine et de salle à manger. Chez Iba, où
j’ai été accueillie, on m’a installée, pour la première fois
dans le village, une salle de douche et des toilettes construites et
entourées d’un mur de boue. Même chez le maire, il y a seulement un
entourage en zinc, sans toit. Le père d’Iba est un bon pratiquant de l’islam et un
homme de bien. C’est une personne rare, qui ne demande pas de
l’argent dès qu’il voit quelqu’un de
« civilisé », contrairement à l’habitude. La salle à manger, c’est la cour. Tout le monde se met
autour d’un grand plat et mange avec la main. Tout le monde, sauf
le père de M. Iba, a essayé de manger avec la cuillère et la fourchette
que je leur ai offertes. Mais il n’est pas sûr que j’ai eu là
une bonne idée, cela pourrait changer leur mode de vie… Au milieu se trouve un acacia, qui fait de l’ombre et où
les enfants grimpent. Ils y ont installé une balançoire. Les moutons se
promènent en liberté autour de cet arbre, à leur guise et comme des
membres de la famille. J’ai été également étonnée par cette
coexistence naturelle des hommes et des animaux.
La terre d’Afrique est rouge, c’est presque du
sable où roule une vieille pile que la petite dernière utilise comme
jouet. Une pile, c’est précieux dans ce village sans électricité. M. Iba est chauffeur de taxi à Dakar. Il laisse deux femmes, son
fils (au collège), sa fille (à l’école élémentaire), sa fille
cadette, et son père au village. C’est son père qui vend ces piles
dans le seul magasin du village. Le soir, les villageois se rassemblent autour de la seule
télévision à batterie du village. Ils s’assoient sur une natte ou
sur une chaise : c’est comme au théâtre. Même ceux qui ne
comprennent pas le français regardent sérieusement l’émission. Les
bavardages ne s’arrêtent jamais, même après la séance. Probablement
les jeunes discutent de politique et les anciens des problèmes du
village. Sous les étoiles scintillantes, sous cette lumière sans
réverbère, dans ce calme mystérieux, j’ai ressenti notre lien à
l’Univers. J’ai alors ressenti aussi davantage la tendresse entre
les gens. À un pas hors du village s’étend déjà la terre sauvage. On
sent l’existence des animaux tout au loin, même s’ils ne
paraissent pas. La vaste terre. La même terre.
‘Nous’ ‘civilisés’, vivons tout
confortablement grâce à l’électricité. Nous avons donc oublié
l’existence de cette terre, perdu ce contact direct avec
l’univers. Pour moi les villageois vivent plus près du paradis. En revenant du puits, alors que je tapais comme sur un tambour
sur le fond du seau que les femmes utilisent pour rapporter dans la cour
l’eau puisée, tout à coup j’ai aperçu plusieurs têtes
d’enfants et je me suis rendu compte que j’avais été
observée. Ils m’ont alors montré joyeusement le tambour
qu’ils s’étaient fabriqués eux-mêmes. Sur une boîte de conserve
de lait en poudre, un plastique assez épais est fixé avec de petites
brindilles. C’est un véritable instrument. C’est un objet
quotidien au rythme agréable et un instrument créé uniquement par leur
imagination. J’ai été stupéfaite par l’imagination et la
créativité de ces enfants qui ne peuvent ni aller à un cours de musique
ni s’acheter un instrument. Ils étaient très contents que je
m’amuse comme eux. Cela a été ma séance d’atelier « Le
Son des Choses » au Sénégal. Je n’avais donc rien à leur
apprendre et je n’ai pu que leur faire un compliment : la
musique n’est pas l’étude musicale. Joie et tristesse jouent
à produire un son au travers d’un objet, tout naturellement.
La valeur de l’eau. Un nuage de sauterelles, et la
nourriture de toute une année est détruite... Les adultes et les enfants
du monde « civilisé » vivent en oubliant ce lien intime entre
la nature et les êtres humains. Aujourd’hui, la terre et la nature
sont en souffrance. Je propose ce projet de ‘correspondance
picturale’ en souhaitant que les enfants du monde puissent réfléchir
ensemble à l’importance et à la valeur de la nature. Nous pouvons
l’apprendre auprès des enfants du village de Thieppe. Les enfants français et japonais sont-ils si enviables ?
Dans un pays où le système d’éducation, de sécurité sociale, les
enseignants, sont si bien installés et ne manquent de rien, on a bien
obtenu une sorte de sécurité par toutes sortes d’assurances, mais
c’est pour perdre notre propre vitalité. La triste réalité est que
nous ne pouvons plus vivre comme les gens du village de Thieppe, car nous
avons déjà perdu notre résistance à la nature. Quel est le prix que nous
avons dû payer en échange de cette société civilisée ? La nature ? La vitalité des êtres humains ? Les enfants
nous apprennent beaucoup de choses. Qu’est-ce que les enfants
français et japonais vont ressentir et comment vont-ils réagir en
regardant les dessins du village de Thieppe ? Comment leur cœur
va-t-il résonner ? Les enfants ont encore un cœur frais, dans le monde entier.
J’espère qu’ils se répondront mutuellement et que cette
amitié durera.
Ainsi je souhaiterais que les enfants au Japon, en France, et
au Sénégal grandissent ensemble….
Piano-no-ki a été créé en octobre 2006. Pour l’art
…. en tant que communication du cœur et écoute de la nature,
de son propre cœur et du cœur de l’autre.... Dans ce but
, nous organisons concerts, expositions, représentations publiques, et
formations.
Yuko Hirota, pianiste, compositrice, et fondatrice du « Son
des Choses »